Rolex Fastnet Race : Brutal et fantastique!

7 août 2023

JEU D'ESPRIT ©Rolex Fastnet Race

La Rolex Fastnet Race, qui s’est déroulée du 22 au 27 Juillet, est la plus grande course au
large du monde. Elle débute au large de l’île de Wight, longe la côte sud de l’Angleterre
puis met le cap sur le mythique rocher du Fastnet au sud-ouest de l’Irlande, dans la mer
Celtique. Puis retour sur Cherbourg en contournant les îles Scilly pour un total de 695
miles nautiques. Avec plus de 430 bateaux et 3’000 marins engagés, cette 50ème édition
n’a pas déçu.


Je participais avec un équipage amateur anglais, sur un monocoque de 16 mètres de type
J/160. Le skipper, Henry Ayres, a déjà disputé trois Fastnet, Sydney-Hobart et bien
d’autres régates et est expérimenté.

Les prévisions météo annonçaient un départ au près dans 25-30 noeuds et la pression a commencé à monter…


En nous approchant de la ligne de départ, j’ai vraiment pris conscience de l’importance de
cette course: les meilleurs marins du monde et les plus beaux voiliers sont là, prêts à
disputer la même course que moi! Les Ultims, les IMOCAS (qui préparent le Vendée
Globe), les Class 40: toutes les stars de la course au large sont présentes!
Nous avons pris un départ conservateur car nous voulions éviter toute collision. C’était
super intense. Le vent est monté à 40 noeuds avec des rafales allant jusqu’a 54 noeuds,
très proches de la côte, avec des courants violents et des vagues cassantes.


A titre personnel, ce sont les conditions les plus difficiles que j’ai rencontrées et avec 430
bateaux autour de nous il fallait être super vigilant pour ne pas avoir d’accident. A la sortie
du Solent, les vagues atteignaient 3 mètres et les appels à l’aide à la radio se sont
multipliés. Nous avons même entendu qu’un bateau avait coulé. Heureusement, tous les
membres de l’équipage ont été récupérés par un hélicoptère. Dans ces conditions
dantesques, nous avons mis la performance de côté pour préserver l’équipage et le
bateau: la route était encore longue. Nous avons bien fait car il y a eu plus de 100
abandons lors des premières 12 heures de course.


Le lendemain, le vent s’est calmé et nous a permis de souffler un peu. Nos habits étaient
trempés et nous n’avions pas encore réussi à manger un plat consistant. Cela n’a pas
duré car au passage des Scilly, le vent est remonté à 35 noeuds et les vagues, qui
venaient de face, étaient impressionnantes. Un membre de notre équipage est d’ailleurs
tombé; résultat une grosse bosse et un saignement de la tête mais plus de peur que de
mal.


Lors de notre entrée dans la mer Celtique, nous avons eu droit à un super lever de soleil
et cette troisième journée à été clémente, avec du vent faible à modéré. Puis une zone
sans vent nous a même empêchés de progresser pendant quatre heures, ce qui a retardé
notre passage du Fastnet. J’étais un peu déçu de ne pas le voir de jour, car c’est un point
de passage très connu dans le monde de la course au large. Mais nous sommes passés à
1h30 du matin, sous un déluge de pluie…


Cette nuit là, nous avons reçu les prévisions météo de la part d’un cargo: arrivée d’une
nouvelle dépression Atlantique dans la mer Celtique, avec 30 noeuds établis.
Effectivement, le vent a commencé a forcir dès les premières heures du matin et c’est à ce
moment qu’un incident s’est produit.

L’équipage de quart s’apprêtait à prendre un ris (réduction de la surface de voile). Quant à
moi, je finissais mon quart de sommeil et allais préparer le petit déjeuner lorsque le voilier
a fait une violente embardée; le skipper a tout juste eu le temps de crier « attention » et le
bateau est parti à l’abattée et a violemment empanné. Mon premier réflexe a été d’attraper
mon gilet de sauvetage et de sortir du bateau pour voir s’il y avait un blessé où une
situation d’homme à la mer; j’ai découvert avec soulagement que tout le monde était à
bord et indemne. Par contre la bastaque (câble qui retient le mât) s’est décrochée et il
nous a fallu une bonne heure de travail pour tout remettre en ordre et reprendre notre
route normalement.


Le vent a continué à forcir, jusqu’a 35-40 noeuds. J’ai passé les quinze heures suivantes à
la barre en alternance avec le skipper, dans la pluie et une mer déchaînée. C’était épique
et j’ai vraiment ressenti la puissance de la nature: tu te sens vraiment tout petit au milieu
de la mer dans ces conditions, mais j’ai adoré cette phase de la course et je crois que
j’étais le seul à bord à passer un bon moment dans ces conditions. Le soir, nous avons fait
des surfs dans des grosses vagues, c’était juste incroyable.


Le lendemain matin, le vent est redescendu à 20 noeuds et nous avons pu faire cap sur la
ligne d’arrivée, encore distante de 80 miles. La dernière difficulté était de traverser le rail
des cargos qui traversent la Manche; un des passages maritimes les plus fréquentés au
monde. Nous avons passé trois heures à slalomer entre les porte-containers, ce qui n’était
pas de tout repos. Certains étaient un peu proches à notre goût et nous avons
régulièrement communiqué avec eux afin de garantir une distance suffisante. C’était
nouveau pour moi, et un peu bizarre de demander à des cargos de 200m de se dérouter
pour notre petit voilier mais ils acceptaient sans broncher.


Pour rendre ce passage encore plus attrayant, nous avons eu la visite d’un énorme
rorqual commun, le deuxième animal le plus grand du monde. Il nous a suivis pendant 2-3
minutes avant de disparaître. Il faisait facilement 15 mètres de long, c’était impressionnant.
Lors de cette dernière soirée de course, la fatigue m’a rattrapé et j’ai fait une longue sieste
de quatre heures, la plus longue depuis le départ. Nous avons finalement franchi la ligne
d’arrivée à Cherbourg de nuit, après 5j 13h et 40m de course.


C’est vraiment un super accomplissement pour moi d’avoir terminé cette course, dans des
conditions dures et avec des aléas techniques. Ça à été une épreuve sportive et mentale,
lors de laquelle il a fallu faire preuve de détermination et de volonté. J’ai le sentiment
d’avoir répondu présent dans les moments les plus difficiles et je suis super heureux de
l’avoir bien vécue, et d’avoir été présent même lorsque j’étais trempé, fatigué et que j’avais
froid: je suis resté au taquet et je me suis senti à ma place en mer.


Prochaine étape: la poursuite de la recherche de partenaires puis deux nouvelles
semaines de voile et de régate en Méditerranée avec un entraîneur, lors desquelles nous
allons étudier la météo, la stratégie et les réglages du bateau. Je me réjouis beaucoup!